La Fin du marché du travail

Je n’aime pas ce terme de « marché du travail ». Il m’évoque une grande foire aux bestiaux dans laquelle les candidats à l’emploi ne montrent ni leurs dents ni leur poil soyeux mais leurs costards et leurs diplômes.

Cette formulation me rappelle des vieux traumatismes d’école comme cette semaine de l’entreprise ; une semaine de « rencontre et de recrutement entre les étudiants et les recruteurs ». Les recruteurs en question étant essentiellement des cabinets d’audit ou de conseil venus piocher leurs stagiaires dans le vivier frétillant des étudiants consentants (ou résignés). Egaré dans la masse d’élèves en costume, j’errais tel un zombie, la tête vide et le cœur empli d’une sourde rage. J’étais incapable de prendre la moindre initiative, mes mains moites gondolaient ma pile de CV dont aucun ne fut par ailleurs distribué…

Mais, au-delà de ces griefs personnels, ce qui m’ennuie le plus avec cette définition du travail comme un vaste marché, c’est qu’elle ne correspond plus, à mon sens, à une réalité.

La notion de « marché du travail » est une construction historique, née d’un contexte économique, social et technologique particulier

(celui des XVIIIème, XIXème et XXème siècles en l’occurrence). C’est une notion conjoncturelle qui ne demande qu’à être dépassée !

Car, si l’on en revient aux fondamentaux (pensez à l’homme de Cro-Magnon, notre modèle à tous), il n’y a pas d’un coté des offreurs de travail et des demandeurs de travail de l’autre, il y a une nécessité commune à tous les hommes de travailler pour vivre et une aspiration humaine universelle à se réaliser dans ses activités.

On ne « cherche » pas du travail, on cherche de quoi manger et on cherche à être heureux.

Le recruteur est soumis aux mêmes problèmes que vous. Comme vous, il se demande « Si je travaille avec cette personne, cela va-il me permettre d’améliorer à terme mon niveau de vie ? Vais-je être plus heureux avec elle ? ».

Mais au temps de Ford et de Marx, il n’était pas possible de produire de la valeur sans infrastructure lourde. Un ouvrier ne pouvait pas travailler sans usine ni outil, un journaliste avait besoin d’une imprimerie pour être lu et un peintre avait besoin d’un atelier.
Il n’y avait pas de travail, sans lieu de travail. Qui dit lieu de travail dit investissements lourds qui ne sont pas à la portée de n’importe quelle bourse. La société s’est donc segmentée entre ceux qui pouvaient acquérir ces infrastructures et les autres. Ceux qui ne possédaient pas les infrastructures nécessaires n’avaient que leur force de travail qu’ils devaient proposer aux détenteurs du capital en échange d’un salaire. Il y avait donc d’un coté ceux qui pouvaient « offrir » du travail et de l’autre, ceux qui ne possédaient rien et qui devaient par conséquent « demander » du travail.

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Le contexte technologique et social de l’époque donnait raison à cette analyse du travail comme un marché, mais aujourd’hui, les choses sont en train de changer grâce à la révolution numérique que nous connaissons. Une grande partie de la population occidentale pourrait aujourd’hui travailler avec pour seuls outils un ordinateur et un téléphone portable.

Pour 1500€ (un ordinateur et un Smartphone), vous pouvez mettre dans votre sac, l’équivalent de centaines de fois la bibliothèque d’Alexandrie, d’un atelier de graphiste, d’un studio d’enregistrement, d’une imprimerie, etc. Bref, pour seulement 1500€, vous avez potentiellement tous les outils qu’il vous faut pour travailler, vous n’avez plus nécessairement besoin de « chercher» du travail, vous pouvez en créer un.

A terme, cela signifie que les « demandeurs » vont disparaître (au moins sur une bonne partie des secteurs d’activités), ce qui signifie qu’il n’y aura plus de rencontre entre une offre et une demande de travail et donc plus de « marché du travail » en tant que tel.

Peut-être sommes-nous en passe de revenir à une version contemporaine de l’homme de Cro-Magnon s’en allant chasser l’auroch à travers la steppe. Nous avons simplement troqué la lance et le couteau contre un ordinateur portable et un Smartphone…

Lascaux

Dans le prochain épisode, nous verrons comment l’homme de Cro-Magnon moderne doit procéder pour chasser l’auroch aujourd’hui, sous quelles formes il peut s’associer avec d’autres chasseurs pour améliorer sa condition. Nous comparerons également ses méthodes d’association avec celles de l’homo sapiens sapiens traditionnel.

  1. César Répondre

    Excellent, j’ai le même arrière goût désagréable quand j’utilise le terme de « marché du travail », qui évoque indirectement la notion d’exploitation de l’homme par l’homme. Pas de quoi nous faire rêver… Mais n’est-ce pas une réalité que l’on tente de déguiser ?

    Un marché est bien un lieu fictif sur lequel vont se rencontrer l’offre et la demande ! Allons nous arrêter de nous échanger du travail ?! Je pencherai donc plutôt pour le terme « mutation du marché du travail »… ou bien encore « Mutins du travail », un terme qui n’a rien à voir mais qui a toute ma préférence :)

    Bon j’arrête de dire n’importe quoi car au final on est bien d’accord : MUTINERIE !!!!!! (avec un ordi un smartphone et un bon espace de coworking à Oberkampf)

    février 8th, 2011
  2. Le Banni Répondre

    Très bel article. Vous aurez cependant besoin dans un futur pas si lointain d’auditeurs quand vous grossirez et deviendrez une multinationale cotée, quand vous serez installés dans un building de 150 mètres de haut, quand vos représentations sous forme de dessins (très stylés) deviendront des photos de vous en costume cravate avec des titres et descriptions telles que « CFO. His favourite quote: Cash is king »,…

    D’ailleurs, au cas où vous l’auriez oublié, j’ai la paternité du surnom « Le Grand Palabreur ». Je viendrai prochainement discuter avec vous du concept de « droits d’auteur » et on pourra trouver un terrain d’entente sur mon entrée dans le capital de votre chouette start-up.

    Bien à vous,

    Le Banni

    février 10th, 2011
  3. William William Répondre

    Banni soit qui mal-y-pense !!!

    Dans 10 ans, on ne sera pas dans des tours, sois-en sûr.
    Et toi, tu ne seras plus dans l’audit, enfin je l’espère…

    février 10th, 2011
  4. Eric Répondre

    Bravo, un éclairage sans fard et une belle plaidoirie sur le besoin d’évolution de l’organisation de notre monde professionnel qui selon mon analyse quitte l’économie de marché pour entrer dans une économie de réseaux et des d’écosystèmes de clusters. Notre ancienne terminologie de travailleur pourrait bien évoluer vers inter créateur de nouvelles valeurs partageables. Je lirai avec intérêt la suite de votre billet sur les nouvelles méthodes d’associations inter métiers…pour chasser ensemble :-)

    Fin du marché du #travail http://bit.ly/e8SoIm #coworking #tpe #AE #freelance

    février 10th, 2011
  5. Pascale Répondre

    Très bel article… Le Cro Magnon moderne est un être qui s’est individué, il est devenu une individualité à part entière, donc il n’a plus du tout le même état de conscience du Cro Magnon ancien. Et après ce passage de la conscience de masse (Cro Magnon ancien), il est passé par la conscience individuelle ( bien connue à ce jour pour un certains nombre), pour commencer à passer en conscience d’ensemble (les nouveaux Cro-Magnon). Nouveaux Cro-Magnon qui retravaillent ensemble avec leurs outils, mais de façon très différente. Cependant le numérique est là, mais cela ne nous permettra cependant pas de construire des maisons, de cultiver les terres pour pouvoir nous nourrir, de créer nos vêtements, ni de créer les smartphones ou les ordinateurs. Il est une part du nouveau. Une part dans une globalité. Oui cette idée d’ensemble est de plus en plus présente, l’inclusivité. Tous les niveaux de conscience sont à intégrer et le tout pour une vie sur Terre sans abandonner les autres et dans une nouvelle répartition des richesses de toutes sortes. Et les nouveaux groupes au sens large du terme n’auront plus de chef, mais chaque Cro Magnon apportera sa pierre à l’édifice en conscience et en toute responsabilité en étant acteur de sa vie et tous étant là pour faire fonctionner le tout.

    février 18th, 2011

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