Le revenu de base, c’est permettre à chacun d’être en partie libéré de la sensation de rareté de l’argent

A Mutinerie, nous avons la chance de compter dans notre communauté l’un des plus actifs promoteur de l’idée d’un revenu de base en France et en Europe; Stanislas Jourdan fraîchement débarqué de Mutinerie Village où il a passé l’été. L’occasion d’un retour sur les nombreux évènements de l’été autour de cette initiative :

Cet été ont eu lieu l’université d’été pour le revenu de base, ressemblant les principaux acteurs du mouvement. Peux-tu nous décrire l’état d’esprit et les discussions sur place  ?

Pour la première fois en France, les militants du revenu de base ont organisé un événement rassemblant tous les différents courants qui militent pour le revenu de base en France.

Au total près de 600 personnes sont venues sur les trois journées. Nous étions accueillis dans le cadre idéal d’un Lycée agricole que nous prêtait gracieusement la municipalité de Coulounieix Chamiers, près de Périgueux. Au programme, des conférences, des ateliers participatifs, et beaucoup d’échanges informels autour des multiples thématiques qui tournent autour de l’idée du revenu de base inconditionnel : création monétaire, rapport au travail, précarité, féminisme, écologie politique… Il y en avait véritablement pour tous les goûts ! Et justement, je pense que la grande diversité des participants à beaucoup enrichi l’événement. J’ai été très marqué (et je sais que je ne suis pas le seul) par l’atmosphère très bienveillante et conviviale qui s’est immédiatement dégagée. Malgré les différences politiques et idéologiques entre les partisans de l’idée, cet événement a permis de faire émerger une véritable volonté commune de travailler ensemble afin de réussir la percée dans l’opinion publique. Après des dizaines d’années de débat, il serait temps que toute la société s’empare de cette question !

Tu as aussi lancé cet été une levée de fonds pour la création d’un magasine papier autour du revenu de base : l’Inconditionnel. La première édition devrait sortir bientôt. A quoi faut-il s’attendre et ou le trouvera-on ?

Oui, L’inconditionnel est le tout premier projet de journal dédié au revenu de base. Nous avons lancé le projet avant l’été et je dois dire, un peu à l’arrache ! Mais nous avons tout de suite senti que le projet était mûr, car les soutiens ont afflué de tous les côtés pour que ce projet puisse exister.

Concrètement, les 12.000€ récoltés pendant l’été vont nous permettre d’imprimer un premier numéro de 20 pages à 50.000 exemplaires.

Ca sera un numéro assez généraliste, qui présentera l’idée sous ses principales facettes, avec pour objectif qu’il puisse permettre à tout un chacun de découvrir l’idée, mais aussi pour les connaisseurs d’approfondir. Nous prévoyons de lancer le journal courant octobre et il sera disponible un peu partout là où les partisans souhaitent puisqu’il sera totalement gratuit. On en laissera bien entendu un bon gros paquet à Mutinerie Paris ainsi qu’au Village !

Inconditionnel

Le revenu de base n’est pas une idée neuve; qu’est-ce qui la rend plus pertinente aujourd’hui selon toi ?

Je n’aime pas faire de hiérarchie entre les combats politiques et sociaux, mais j’observe que derrière la plupart des conflits, injustices et autres maux de société, il y a tôt ou tard une histoire d’argent. Certains en ont trop et ne savent plus quoi en faire, d’autres en manquent cruellement, ce qui les conduit à accepter n’importe quel boulot, y compris les plus ennuyeux, pénibles, inutiles… Pourtant l’argent est bel et bien là, il y en a bien assez pour tous, de même que nous produisons bien assez pour nourrir tout le monde sur la planète. Reste à trouver la juste ingénierie sociale entre le ‘partage total’ et le chacun pour soi.

À mon sens, le revenu de base permet de concilier les libertés individuelles avec un système de solidarité généreux, lequel est intrinsèquement nécessaire vu le niveau d’interdépendance des humains dans nos sociétés modernes.

L’idée principale derrière le revenu de base, c’est de permettre à chacun d’être en partie libéré de la sensation de rareté permanente de la monnaie.

On donne à chacun le minimum pour pouvoir satisfaire ses besoins de base, ce qui libère de la peur psychologique de se retrouver le carreau. Libre à chacun de gagner plus que le revenu de base, puisque celui-ci est cumulable avec tout revenu d’activité. De là, je pense que beaucoup de belles choses peuvent découler : les gens choisiront une activité plus épanouissante – où ils seront du coup plus productifs – tandis que ceux qui s’épuisent aujourd’hui au travail pourront lever le pied. Ceux qui subissent le chômage et la précarité seront libérés du sentiment de honte qu’on leur colle à la peau ; et pourront réellement choisir une voie professionnelle qui leur plaise réellement plutôt que de chercher juste ‘un boulot’.

Je crois que l’impact sera notamment énorme pour les jeunes, que l’on pousse aujourd’hui sur le marché de l’emploi complètement bouché avec bien peu de perspectives. Le revenu de base va libérer des peurs de l’avenir, et permettra de développer les activités socialement utiles même si elles ne sont pas ‘rentables’. C’est vrai que l’idée du revenu de base n’est pas nouvelle, on en parle depuis que Thomas Paine a écrit en 1795 « La justice agraire », et depuis, de nombreux économistes, philosophes et autres penseurs de tout bords ont planché sur la question. Les choses s’accélèrent nettement depuis quelques années, grâce à une multiplication des initiatives citoyennes. Je pense que c’est lié au fait qu’on assiste à une convergence des crises sociales, écologiques, financières, démocratiques, et que précisément le revenu de base apporte des réponses dans tous ces domaines.

Certes le revenu de base n’est pas la panacée qui va tout résoudre, mais c’est l’une des rares idées qui peut réunir les citoyens quelques soient leur bord politique, et c’est pour cela que je crois à l’idée. Les gens en ont marre du système politique, des partis qui nous gouvernent et justement le revenu de base pourrait dépasser la logique politicienne actuelle et la rendre obsolète.

Le gouvernement suisse a récemment appelé à rejeter la proposition d’un revenu de base à 2 500 Francs dans un pays qui semble être parmi les plus avancés sur la question . Penses-tu qu’une initiative aussi audacieuse que le revenu de base pourra un jour être mise en place dans un scénario démocratique pacifique ? Et quel scénario d’implémentation te parait le plus plausible ?

C’est intéressant de constater que dès qu’un pays possède des outils de démocratie participative, le sujet du revenu de base émerge car les citoyens veulent en parler ! Alors, quoi qu’en pense le gouvernement suisse, ce sont les citoyens qui décideront par référendum (d’ici 2016) s’ils veulent un revenu de base ou non. Il est d’ailleurs également intéressant de voir que les mouvement indépendantistes écossais, catalans, et basques  sont assez favorables à l’idée. Le problème, c’est que tous les pays n’ont pas le référendum d’initiative populaire comme en Suisse. Du coup, ce genre d’idées radicales est systématiquement écarté des débats, en tout cas au niveau institutionnel et médiatique. Mais je ne désespère pas qu’un mouvement de citoyens suffisamment organisé et persévérant parvienne à changer les rapports de force et occupe l’espace public pour que l’on parle enfin du revenu de base. Les 300.000 signatures récoltées en Europe l’année dernière sont une première démonstration de force, mais nous avons encore du chemin à faire.

Au niveau des parlements français et Européens, où en sommes-nous ?

Nous avons des soutiens dans les décideurs politiques, mais ils sont encore trop frileux pour oser avancer l’idée publiquement. C’est le rôle du Mouvement Français pour un Revenu de Base que de créer une caisse de résonance. Quand le vent aura tourné, les girouettes suivront ! Tant au niveau Français qu’européen, nous disposons de soutiens fermes à l’idée, mais encore trop isolés au sein des grandes formations politiques. En France, EELV soutient officiellement l’idée mais sans vraiment la porter au débat public. Au niveau européen, nous disposons aussi du soutien du groupe des Verts, ainsi que notamment les élus du tout nouveau parti espagnol Podemos. Mais le plus grand risque, est que la situation sociale et économique ne se dégrade encore plus rapidement, et génère une colère irrationnelle empêchant un réel débat sur les alternatives sérieuses.

Pour aller plus loin sur la question, peux-tu nous recommander quelques bonnes lectures qui traitent de la question ?

La lecture incontournable, c’est « Pour un revenu sans conditions » un livre de Baptiste Mylondo. Il y a également un numéro de la revue Mouvements qui avait consacré un dossier assez complet sur la question. Pour approfondir, je recommande également les divers écrits de l’économiste français Yoland Bresson et du philosophe belge Philippe Van Parijs, et enfin n’hésitez pas à faire un tour sur notre site revenudebase.info sur lequel on relaie l’actualité française et mondiale sur le sujet.

Stanislas Jourdan

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