Mutinerie Village et l’exode urbain

 Amandine Marty réalise un documentaire sur l’Exode Urbain, elle est passé faire un tour à Mutinerie Village et nous avons échangé :

cerf volant Mutinerie

1 – Peut-on qualifier Mutinerie Village de gîte numérique ? Si oui, quels mots-clés viendraient se greffer autour de ce concept ?

Le terme de gîte numérique recouvre une partie du concept de Mutinerie Village, mais pas la totalité. Il y’a dans le projet Mutinerie Village l’idée de travail indépendant, de communauté, de lieu où l’on se ressource et l’on expérimente…

Dans tous les cas, le phénomène des lieux comme Mutinerie Village est nouveau et manque encore d’un mot fédérateur. Avec d’autres espaces du même genre en Europe, nous cherchons actuellement a fédérer un mouvement et trouver le mot qui corresponde le mieux à ce concept d’espaces de travail et et vie en zone rurale.

2 – Le « télétravail » à la campagne tu y crois ? 

Le télétravail décrit un phénomène qui reste largement lié au salariat avec l’idée que les salariés peuvent réduire le temps de transport entre le bureau et le domicile. Ca va dans le bon sens mais n’est pas un vrai facteur d’exode urbain car il suppose que les centres d’activités et les centres de décisions restent en ville. Par conséquent, il n’est pas en mesure d’apporter un nouveau souffle et une vraie autonomie aux campagnes. La campagne se prête mieux aux travailleurs indépendants, plus réactifs, mobiles et polyvalents, que l’on parle d’un agriculteur ou d’un freelance.

L’exode urbain passera donc par une modification profonde de l’organisation du travail allant vers plus de travailleurs indépendants et une plus grande autonomie des salariés.

Le coworking, par sa capacité à créer un écosystème autonome me paraît plus adapté aux formes de travail en zones rurales.

3 – Comment combiner pratiques agricoles/rurales et pratiques du numérique ?

Je vois énormement de synergies entre les pratiques numériques et agricoles, j’ai même écrit un article sur le sujet ! Dans l’économie numérique, on parle de pollinisation, d’écosystème, de viralité … Autant de termes empruntés aux logiques biologiques. Et ce n’est pas complètement un hasard. Les logiques biologiques inhérentes à la production agricole se retrouvent dans l’économie numérique. Le “travail” d’un internaute qui va de lien en lien sur Google et celui de l’abeille qui butine de pommier en pommier se ressemblent largement. Tous deux pollinisent et fertilisent l’environnement tout en poursuivant leurs activités propres.

Le numérique permet de comprendre, de mesurer et de favoriser des logiques organiques comme les relations sociales, les échanges d’idées et d’informations. Or l’agriculture suit également des logiques organiques.

Ces deux mondes ne se sont pas encore vraiment rencontrés (sans doute car ils se situent sociologiquement sur des zones très « distantes ») mais cette rencontre sera je pense, l’une des plus fructueuse de l’histoire d’Internet.

Au niveau de la distribution, on le voit avec des initiatives comme la Ruche qui Dit Oui qui permet à des agriculteurs, via Internet, de trouver des clients à proximité et de vendre dans des conditions économiques plus justes et responsables. Des serres connectées permettent aux maraichers de réguler automatiquement la température et l’humidité du milieu pour faciliter la croissance sans apports d’engrais chimiques. Mais cela n’est que le début…

4 – Comptez-vous être auto-suffisant du point de vue alimentaire ? Quel est votre modèle économique global ?  

L’autosuffisance alimentaire serait à terme un objectif magnifique ! Mais nous fonctionnons par tests et implémentations progressives et nous sommes conscients que avons beaucoup à apprendre au niveau agricole (même si nous sommes aidés par un ami qui maitrise la permaculture).

Nous avons déjà mis en place un potager qui couvre environ 30% de nos besoins. Les nombreux arbres fruitiers, ainsi que les châtaignes et champignons de la forêt nous prodiguent beaucoup. Enfin, nos chères poulettes nous permettent d’avoir des oeufs à volonté !

L’autosuffisance alimentaire ne devra pas menacer notre modèle économique mais au contraire le favoriser. Nous pouvons par exemple aider notre permaculteur à lancer une véritable activité de maraichage fonctionnant en « symbiose » avec mutinerie Village ; les coworkers donneront des coups de mains au jardin de maraichage, apprendront des techniques de permaculture et le village sera approvisionné en nourriture… Chacun est gagnant dans un scénario comme celui-ci. L’idée est de recréer un écosystème efficace, générateur de connaissances, de confiance et d’interactions positives. Au fond, c’est cette méthode que nous utilisons à Paris et que nous poursuivons dans le Perche.

arrosage potager Mutinerie

5 – Est-ce que ça créé un déclic « écologique » de pouvoir mêler boulot et cadre de vie plus « sain » ?

Mêler plus harmonieusement boulot et cadre de vie, c’est même un réflexe de survie ! La stricte séparation entre vie professionnelle et vie personnelle est absurde et rend schizophrène !

En temps qu’êtres humains, nous avons besoin d’équilibres pour mieux vivre, mieux réfléchir, mieux travailler et être plus heureux. Equilibres entre le travail manuel et intellectuel, entre les besoins sociaux et les besoins de solitude … On se rend bien compte que ces équilibres sont rompus. Le marché du travail pousse à nous spécialiser, à maitriser parfaitement des tous petits maillons de la grande chaine de valeur. A force d’en savoir de plus en plus sur des domaines de plus en plus limités, on finit par tout savoir sur rien ! Chaque individu perd ainsi en autonomie et se place en rupture avec les équilibres humains et les équilibres naturels en général. Alors, la société perd en résilience et se met à développer des comportements malsains. La crise met en évidence ces déséquilibres et crée une prise de conscience.

Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus nombreux à pouvoir travailler de n’importe où de façon viable économiquement. Internet change la donne en favorisant le croisement des usages, la polyvalence, l’auto-apprentissage etc. Il nous aide à sortir d’une société ou nous étions des « hommes-outils » pour devenir des « hommes-projets ». C’est à mon sens beaucoup plus sain et oui, plus écologique !

6 – Est-ce que ça reste un truc de bobo ? Comment le rendre accessible à tous ? De ton point de vue, la campagne est-elle accessible à tous ?

L’accusation de boboïsme frappe indistinctement toutes les initiatives nouvelles, qu’elles soient d’éphémères phénomènes de modes ou s’inscrivent dans des tendances de fond. Il n’est pas nécessaire d’y prêter trop d’attention.

Je crois que des tiers-lieux ruraux comme Mutinerie Village s’inscrivent à la croisée de tendances très lourdes ; essor des travailleurs indépendants mobiles, exode urbain, aspiration à la création de nouveaux liens sociaux, volonté de renouer un lien avec la nature etc. Ces tendances sont là pour s’installer durablement et changer nos vies.

Quand nos parents voulaient vivre en indépendant dans le Larzac, ils avaient intérêt à maitriser instantanément l’élevage de chèvre ! Mais aujourd’hui, on voit des campagnes se repeupler de freelances et d’indépendants, qui gagnent leur vie d’un métier qu’ils maitrisent déjà et dont ils peuvent vivre correctement. Nous sommes la première génération dont une part significative des professions n’est plus directement lié à un lieu géographique. Ca change tout !

La campagne est accessible à tous financièrement d’abord, car elle reste beaucoup moins coûteuse que la ville. En revanche, les principaux freins sont économiques et sociaux.

Economiques parce que l’emploi salarié se créé surtout en ville et lie donc une partie de la population aux métropoles. Mais l’accroissement du nombre d’indépendants et de la capacité à travailler à distance permettent à de plus en plus de personnes d’envisager de vivre à la campagne sans perte de revenu.

Sociaux parce que le coût social d’une installation à la campagne est aujourd’hui élevé. Il manque aux zones rurales des points de rassemblements, de rencontres intellectuelles ou artistiques, des zones de friction auxquelles aspirent les urbains (et que les ruraux déplorent eux-même souvent). Beaucoup de gens qui ont tenté l’expérience de vivre à la campagne en sont revenus car ils se sentaient trop isolés.

Des lieux comme Mutinerie Village rendent la campagne nettement plus accessible car ils permettent de poursuivre une activité rémunératrice hors des villes tout en ne subissant pas d’isolement social.

7 – L’espace est-il géré de manière horizontale en autogestion ? Sinon qui est le metteur en scène ? 

Notre expérience à Paris nous a permis d’en apprendre beaucoup sur la gouvernance d’espaces collaboratifs. Nous avons fonctionné par propositions, observations et implémentations successives. Dans le même temps, étant initiateurs d’un projet, il est essentiel d’avoir une vision et de l’incarner. Il est sain d’être face à ses responsabilités.

Nous fonctionnerons de la même manière dans notre espace percheron. Ceux qui restent plus longtemps au village ont des responsabilités et du travail (1h30 par jour environ). Ceux qui viennent pour quelques jours avec un objectif en tête n’ont pas d’obligation.

La vie en communauté tend naturellement à des formes de gestion communes parce que l’on vit les mêmes choses et qu’on fait face aux mêmes problèmes. Pour le moment, l’organisation fonctionne correctement sans formalisme ni charte, ni doctrine et nous aimons ce fonctionnement.

L’idée à terme c’est que Mutinerie Village fonctionne de la manière la plus autonome et la plus simple possible. Nous mettons en place la base ; le gîte et l’espace de coworking mais l’idée est que sur cette base se greffent un ensemble de projets complémentaires (activité agricole, makerspace, évènements …) portés par d’autres personnes mais apportant des synergies et encore plus de profondeur à l’écosystème de Mutinerie.

Un projet de makerspace est en cours, un projet de ferme permaculturelle, se mettent en place et une école de développeurs Simplon s’est installée à quelques kilomètres du Village. Tout cela s’est fait en quatre mois ! Nous jouons le rôle d’un récif de corail qui accueille autour de lui un écosystème riche et profitable à tous.

petite maison

 

 

  1. Treant Répondre

    L’accusation de boboïsme frappe indistinctement toutes les initiatives nouvelles, qu’elles soient d’éphémères phénomènes de modes ou s’inscrivent dans des tendances de fond. Il n’est pas nécessaire d’y prêter trop d’attention.

    Tu cales quand meme une de ces photos ds l’article !

    novembre 15th, 2014
  2. Isabelle CG Répondre

    Comment s’articule l’écosystème de Mutinerie Village avec celui préexistant du territoire rural où vous vous êtes implantés (mais peut-être est-ce encore un peu tôt pour le mesurer) ?

    novembre 16th, 2014

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