Un habitat composé d’équipements 100% open source est-il possible? Chaises, lampes, tapis, mixers … OpenLifeLab lance le défi : constituer un prototype de cet habitat entièrement ouvert. Ce prototype sera mobilisable, en entier ou en partie, et il pourra se transformer en laboratoire d’usage ou en dispositif de médiation. Au service des curieux, au service des projets open design et open hardwares, au service de l’open source des objets!
Designer UI et enseignant, Asselin est l’initiateur du projet OpenLifeLab. Travaillant avec conviction au développement de ce projet, il espère dans un avenir proche motiver d’autres open’nautes et obtenir les premiers objets. Pour cela, il court entre Mutinerie et l’Usine.io à la poursuite des conseils, des échanges, et bien entendu des machines! En effet, la fabrication a commencé: on peut désormais toucher OpenLifeLab !

1-Quels sont les avantages des objets open source par rapport à ce que l’on peut trouver sur le marché aujourd’hui ?
Le fait de s’appuyer par nature sur une architecture modulaire, et donc d’être réparable par conception; ou encore le fait de présenter un maximum de dimensions adaptables à chaque contrainte d’usage (design paramétrique). Mais la plupart de ces caractéristiques peuvent être articulées au moins partiellement dans un contexte propriétaire, limité.
Certains bénéfices sont en revanche très intimement liés à l’ouverture du format. Il est délicat par exemple de privatiser un projet pour lequel on a préalablement engagé à la tâche une communauté d’utilisateurs gratuits et enthousiastes. La dimension coopérative est intrinsèque à l’open source hardware (OSHW).
Un brevet ou un plan n’a de valeur que dans la rareté de sa circulation. L’information open source est au contraire liquide. Il n’y a pas besoin d’une autorisation exclusive pour réemployer ou forker un plan fonctionnel open source. Ce caractère est plus fondamental encore que la gratuité, car il permet la mobilisation d’un grand nombre de partis prenants, et la sélection naturelle exercées par les contributeurs et futurs utilisateurs. Les cycles d’apprentissages sont alors très précoces. Dans l’industrie conventionnelle, il faut parfois des années de travail entravé par un secret angoissant pour découvrir ce qu’une communauté met peu de temps à apprendre dans l’open source.
2- As-tu des exemples de produits open source d’ores et déjà accessibles ?
Bien sur, il y a des projets emblématiques, comme Wikispeed, ou Wikihouse, ils fabriquent des voitures ou des maisons ouvertes et réplicables. Les projets fameux sont souvent orientés vers une catégorie de produits. Mais la réalité économique de l’open source hardware, pour l’instant c’est surtout l’outillage. A titre d’exemple, les deux tiers du revenu généré par l’open hardware concernent l’équipement électronique OSHW. Les projets actuels ne forment pas un avenir en miniature, mais plutôt une amorce.
S’il fallait relever une entreprise de l’open source hardware particulièrement organisée pour s’adapter à terme, je citerai Thingiverse. Sur cette plateforme, les objets open hardware ne manquent pas! C’est une immense bibliothèque de tout et n’importe quoi réplicable librement. On peut y trouver une pièce pour sa machine à laver, des plans de mortiers à imprimer, une lampe de designer à découper soi-même, des lunettes de soleils lowcost, des trucs parfaitement inutiles, des choses essentielles,… Tout y est gratuit, 100% pair à pair. La plateforme ressemble à bien des aspects à ce que pouvait être Youtube à ses débuts. Une poubelle, pas très rentable, pas très smart, pas très élégante non plus. Mais organisée pour apprendre sans filtre et en masse sur ce que font les concepteurs et ce qui intéresse les utilisateurs.
3- Quels pourraient être les modèles d’organisation qui pourraient rendre viables les acteurs qui s’investissent dans la création de produits open source ?
L’une des publications de référence récente sur cette question, c’est Open Models, sorti récemment sous l’égide de Louis-David Benyayer et Without Model. Benjamin Tincq, Léo Bénichon ou Martin Kupp y décrivent, avec leur vision d’experts du manufacturing et de l’OSHW, à quoi ressemblent les business models ouverts de l’open hardware.
Parmi les idées qui me plaisent, il y a celle du ‘designers commons’ -en référence aux ‘commons’ étudiés par Elinor Ostrom. Le métier du concepteur repose aujourd’hui sur la création de modèles constituant son stock. Le designer génère ses revenus en cédant un certain nombre de droits ou d’exclusivité dont il dispose à un fabricant ou un éditeur. A ce jeu, celui qui possède le marché d’utilisateurs finaux récupère la plus grosse part du gâteau.
Les nouveaux modèles pourraient rebattre les cartes. La fabrication numérique se développe et devient un mode de fabrication concurrent des chaînes en série. Avec elle, la fabrication à la demande, adaptée à l’extrème aux besoins explicites de chaque utilisateur. Ils exercent sur cette chaîne un contrôle direct.
Quel sera le rôle du designer dans ce contexte nouveau? Il pourra suivre les tendances des communautés d’usagers et leur proposer des solutions à un stade très primaire. Sélectionné par la curation collective et non la sanction d’un intermédiaire, il pourra engager cette communauté et la guider. En interaction, il pourra la mobiliser pour passer les obstacles naturels à la création du prototype, puis du produit: financement d’amorçage, dépenses, tests et épreuves diverses, feedbacks utilisateurs, génération d’une image autour du produit…
Le fait d’être open source permet certes à n’importe qui de se saisir du plan d’un produit, mais ne remplace pas l’expertise accumulée, ni la communauté qui l’a porté en co-opération, ni les expériences uniques qu’ils ont partagées. Dans ce contexte d’autonomie renforcée, le fabricant et l’éditeur ont un rôle, mais n’ont plus le contrôle, condition nécessaire à la concentration industrielle. On peut donc supposer que l’open source favorise des modèles décentralisés.
Je crois beaucoup dans le développement de ‘designers&users commons’, de coopératives de co-designers -appelons les comme on veut. Des entités coopératives dotées d’un modèle économique soutenable. L’open source y assurerai la confiance, l’autonomie, l’efficience et l’utilisation loyale de la ressource commune. Les fablabs sont en quelque sorte un prototype incarné et hobbyistes de ces communaux. On voit bien le degré élevé de sympathie et d’attraction curieuse qu’ils inspirent à la population, indépendant du nombre de ses usagers. Enfin, ces communaux pourront coopérer entre pairs, au niveau global pour renforcer un écosystème d’acteurs, plutôt que de s’étendre indéfiniment dans un jeu de conquête cruelle et féodale au terme duquel Ikea vend seul et à tout le monde un même meuble en carton.

4- Quelles sont pour toi les conditions de succès à grande échelle pour l’open source hardware et les principaux enjeux à l’avenir ?
Il me semble que la pièce manquante pour toucher des utilisateurs à grande échelle, c’est… le manque d’attention portée aux utilisateurs ! On ne sait rien d’eux, même pas si un jour un label ‘open source’ aura une influence quelconque sur le choix d’un produit. On sait que la réparabilité ou la personnalisation sont des qualités attendues, mais quel est le scénario permettant son adoption fluide par des consommateurs qui, aujourd’hui, achètent encore beaucoup selon le prix sur l’étiquette?
Jugés sur des critères du marché et non du labo, les produits open sources disponibles aujourd’hui sont encore peu attractifs. Ils ne sont pas connectés aux usages de ceux qui pourraient vouloir se les procurer. En comparaison, les marques classiques savent travailler dans le détail la désidérabilité de leurs produits, y compris lorsqu’elles reprennent les codes de l’Open
Ce n’est pas une fatalité cependant, les opérateurs classiques n’ont pas d’avantage naturel insurmontable. Comme l’explique Eric Raymond (5), étayé par le développement économique de l’open source logiciel, les produits open sources sont plus enclin à l’amélioration rapide et à l’adaptation au marché que les produits propriétaires. Il ne reste donc plus en théorie qu’à enclencher cette relation amoureuse nécessaire avec l’utilisateur -expérience / apprentissage.
Dit autrement: les objets open peuvent avoir des mérites reconnus, mais ce n’est que lorsqu’un utilisateur le pointe du doigt et dit « je le veux » que la grande machine à fabriquer peut se mettre en route. Appelons cela l’ ‘index utilisateur’, et considérons que c’est un but à atteindre, au même titre que le caractère recyclable! Pour amorcer ces conditions initiales, travailler ce terreau favorable, attirer cet ‘index utilisateur’, permettant à la chaîne de s’animer à grande échelle. Si l’on souhaite développer l’open source des objets, il faut donc d’urgence travailler à l’engagement des designers dans des projets ‘makers’.
5- Atelier ‘Open:Design’
Et justement , c’est le sens de l’atelier que nous organisons à Mutinerie. Réunir des designers et des spécialistes de la fabrication et de l’open source afin d’explorer, ou de défricher, des scénarios d’accès des praticiens à l’open source, tout en gardant à l’esprit que ces scénarios ne seront adoptés que s’ils tiennent compte de la fragilité économique, juridique et éthique de la position du designer.
Lorsque j’en ai parlé autour de moi, j’ai été surpris de l’intérêt pour ce sujet. Nous aurions pu faire grossir l’atelier, mais avons préféré avec ma complice Charlotte Guislain conserver un format plus confidentiel autour d’une quinzaine de spécialistes, et garder l’esprit vivant du défrichage. Je pense que nous sommes à la préhistoire de ce mouvement. L’open source des objets en 2015, c’est le Web en 1994, à la veille d’une explosion à laquelle personne n’osait croire. Personne n’est évidemment en mesure de prédire comment les choses vont réellement se passer.
Merde, largué dès la première ligne. C’est quoi une chaise open source, une chaise sur laquelle il n’y a aucun brevet ?
Cordialement,
Tréant.
Oui c’est ça cher Tréant. C’est l’idée que les plans soient ouverts et accessible au public. Généralement, les produits open se veulent facilement réplicables et customisables …
Ok merci. Par curiosité, tu aurais un lien de boutique en ligne ou on peut voir du mobilier open source ?
Vaste monde des nouveaux concepts et nouveaux usages !
Cordialement,
Tréant
@tréant La plus connue c’est OpenDesk. Open-loggia également s’y essaie. Mais dans les deux cas, pour des raisons très différentes, on est très loin d’une solution satisfaisante. Dans un avenir proche (j’espère!) il y aura des opérateurs de ce genre: http://hem.com/. Malheureusement, celui-là n’est pas open source!
Malgré le fait que je consacre du temps et de l’énergie à un projet orienté vers les objets open source, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un but en soi. C’est d’abord une façon alternative d’envisager la consommation, la production, le design, un élément crucial des changements à venir, dont nous ne connaissons finalement presque rien (mais supposons déjà beaucoup!). A la veille de l’explosion du web, beaucoup de gens pouvaient se demander sur quelle chaîne on pouvait voir les meilleurs programmes webs. Car ils pensaient le web à l’aide des outils conceptuels que leur environnement média leur fournissait (cf Marshall McLuhan pour la théorie). Comment aurait-on pu se représenter la culture des réseaux sociaux actuels en 1989? Les surprises qui nous attendent concernant les modèles de conception, fabrication et diffusion des produits de consommation physiques sont sans doute de même ampleur…