L’isolement connecté

Le grand flux numérique nous entraine tous dans son courant, charriant avec nous des morceaux épars d’informations et des bribes de vies humaines.

En moyenne, on regarde son smartphone 150 fois par jour ! 150 fois par jour, et souvent dès qu’on trouve un petit moment de solitude, on ouvre les vannes de nos données. Lorsque regarde son téléphone, on entre dans une nouvelle bulle, seuls mais relié à tout et à tout le monde.

Entre solitude et sociabilité

Entre la solitude et la vie sociale s’est ouverte une troisième voie ; l’isolement connecté.

La solitude prend un sens nouveau, ou plutôt, ne rime plus autant avec l’isolement. La nature de la solitude change. Elle rimait avant avec ennui, lecture et méditation, elle évoque aujourd’hui plutôt les heures molles sur internet passées à zoner entre Facebook, Twitter et Youtube…

On peut parcourir le monde en continuant à travailler, on peut parler à ses amis depuis n’importe où. Et on peut se faire traquer par des amours encombrants alors qu’on pensait que les 3000km de distance qui nous en sépare auraient suffit à soulager nos tourments…

l’isolement connecté est un état bizarre que l’on pourrait tenter de décrire :

Partager ses expériences

Avant internet, être seul en voyage ça voulait dire renoncer à avoir des témoins de ses aventures. L’expérience était totalement introspective et c’est seulement, une fois rentré, une fois la pellicule photo développée que l’on pouvait tenter de partager en un récit son expérience de plusieurs semaines.

Mais ce que l’on échange sur internet n’est pas un récit, ni même un carnet de voyage. Internet réagit directement au contenu qu’on lui apporte et ses réactions modifient ensuite notre comportement de solitaire. Une sorte de surmoi numérique se créé autour de nous dans la solitude et nous pousse à témoigner sur le vif, à coup de photos, calls et commentaires de ce qui se présente à nous.

Immergé, mais pas trop 

La coupure sociale est moins nette pour l’isolé connecté. Le fait de pouvoir suivre, presque en temps réel le rythme du monde et la vie de ses proches facilite les choses mais rend plus légère l’immersion sur place. Le rapport à l’espace est modifié, certes on est physiquement quelque part mais on n’est plus obligé d’y être totalement et dans sa poche, on sait qu’on peut trouver instantanément les rivages familiers de notre environnement social numérique.

Miroir déformant

« In real life », on ne transforme pas une mine défaite en smiley fringuant alors qu’on sort d’une journée affreuse, sur internet si ! Les relations des isolés connectés sont basées sur l’apport volontaire de données et sur la facilité de me pas tout montrer. On en est bien sûr conscient, mais cela n’impacte pas moins la sociabilité étrange qui se développe en ligne.

isolement connecté

L’isolement nécéssaire 

Loin de séparer les hommes, comme on aurait pu le craindre il y a encore quelques années, les technologies numériques les décloisonnent, comme l’ont montrées plusieurs études. La solitude subie peut être fortement atténuée par ce nouveau type de relation. En revanche, la solitude choisie devient de l’autre coté plus difficile à trouver. Les cloisons sont utiles et même indispensables à l’équilibre des hommes.

Etre seul face à soi-même est une chance, une respiration précieuse qui fait prendre conscience de soi et des autres.

Il n’y a pas si longtemps, ces moments de solitude se créaient automatiquement, en voyage, chez soi ou même au bureau. Ils n’étaient pas recherchés mais survenaient forcément. Mais depuis l’avènement du Grand Flux Social, ces moments de « solitudes thérapeutiques » deviennent de plus en plus le résultat d’une recherche active. La ressource abondante est devenue rare; il ne suffit plus de s’assoir dans un train pour trouver à coup sûr une petite bulle de solitude, il faut activement se dire « non je ne vais pas regarder mes mails, ni suivre les news, je vais plutôt regarder les vaches en pensant à des choses vagues »…

Les changements les plus profonds passent souvent inaperçus parce que qu’ils sont lents, diffus et qu’ils touchent en même temps tous les aspects de la vie mais cette sociabilité nouvelle modifie rien de moins que notre rapport à l’espace, au temps et aux autres !

  1. maelle Répondre

    je vis à 100% la force de cette connexion permanente étant pour un an à l’autre bout du monde. Contrairement à mes voyages antérieurs, sans internet, je ne suis pas obligée à l’isolement de mon monde. Mon séjour lointain en est moins difficile, ma relation à ma bulle sociale en France reste quasi intacte. Pour une fois je peux partager mon vécu ailleurs avec plus de précision, plus de nuance, plus d’échanges qu’avant.
    Pas de lâcher prise total, pas de risque de coupure.
    Avec des filins de sécurité, on peut explorer plus mais pas aller aussi loin. Imaginons l’histoire de la chèvre de M. Seguin si elle était attachée par une longue corde…pas de loup, pas de crètes, pas de risque. enfin ça dépend de la longueur de la corde, donc du degré de relachement possible de ces liens avec la bulle de « l’entourage social ». ce relachement, c’est un apprentissage.
    en tout cas, merci pour ce texte simple, sincère et juste.

    mai 4th, 2015

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