Un jour, Pascal Jouxtel -mutin de la première heure versé dans l’étude des systèmes humains- est venu nous voir avec une drôle d’idée; prélever et analyser l’ADN mutin. Pour cela nous jurait-il, nul besoin d’éprouvette ni de frotis des muqueuses, mais simplement d’un questionnaire, d’une méthode bien huilée et du rassemblement d’un groupe de mutins dans une cave. Et le résultat ? Un portrait de l’identité du groupe Mutinerie, de son implicite partagé. L’idée était séduisante et Pascal, fondateur de l’Internome, maitre 5ème Dan et professionnel du conseil en évolution culturelle des organisations était sans aucun doute celui qui pouvait réaliser une telle mission. Pour cela, il s’est basé sur la théorie des niveaux d’existence émergents cycliques, proposée dans les années 1960-70 par le psychologue américain C.W.Graves. et que Pascal applique depuis 2005. Nous nous sommes donc prêtés au jeu.
Le résultat fut splendide ! La méthode de Graves me parait extraordinairement profonde, puissante et intelligente. Nous lui avons donc demandé s’il voulait bien mettre ses résultats par écrit pour notre blog et dans sa grande bonté, il nous a accordé cette faveur. Voici donc, livré pour vous, l’étrange mixture qui forme l’ADN Mutin :

Mutinerie Coworking est plus qu’un lieu, plus qu’un service, plus qu’une organisation. C’est un organisme vivant.
Observons les mutins avec soin. Dans leur navire métaphorique, il importe de distinguer l’équipage proprement dit (qui tient la boutique) de ses passagers, dix fois plus nombreux, aux métiers diversifiés, formant un magma peu structuré (designers, consultants, associatifs, entrepreneurs, codeurs, traducteurs, journalistes, chercheurs, mais aussi entrepreneur-designer-web ou encore consultant-chercheur-associatif, etc.). Le terme « mutin » s’applique indifféremment de façon globale à l’une et l’autre catégorie, équipage et passagers, et nous avons décidé de les traiter comme une seule et même communauté, ce qui est déjà un point de vue unique en soi, comparé aux entreprises commerciales. C’est donc à l’ADN mutin de façon globale que nous nous sommes intéressés.
Que dit-on quand on parle de l’ADN d’un collectif stable, plus ou moins organisé ? La manière la plus simple d’y penser consiste à parler d’implicite partagé, c’est-à-dire de visions du monde qui sous-tendent l’action et font qu’entre nous, sans savoir pourquoi, on préfère telle attitude ou tel agencement de l’espace, et que l’on a naturellement tendance à faire ainsi, à aimer ou détester cela, ou à s’accorder sans grand débat sur une façon d’agir. Du coup, quel modèle utiliser pour cerner ce qu’il y a de commun dans nos visions du monde, ainsi que les tensions qui résultent de leur diversité, quand chacun a décidé de « faire société » avec tous les autres ? Nous avons utilisé à cette fin la Théorie des niveaux d’existence émergents cycliques, proposée dans les années 1960-70 par le psychologue américain C.W.Graves, à l’aide d’une instrumentation construite par l’Internome.
Il a suffi d’un « simple » questionnaire pour extraire de la tête du plus grand nombre possible de mutins la photo de leur « vision du monde » et de leur attitude profonde par rapport à celui-ci.
La théorie de Graves est ainsi conçue que ses agrégats, les niveaux d’existence, permettent de rendre compte aussi bien d’un point de vue individuel que d’un point de vue collectif, dans toute sa pluralité et ses tensions. Cet article n’est pas une explication de la théorie, mais ceux qui la connaissent (ou son développement sous le nom de Spirale Dynamique), s’y retrouveront aisément.
Hocus Pocus
Qu’avons-nous mis en évidence ? Deux zones de déconstruction (ou encore de stress), deux zones de congruence qui maintiennent ce corps ensemble malgré les disparités et, en guise de bonus, deux doigts de magie et d’élan vital sublimé, en-deçà de toute logique.
Pour ce qui est des variables sociologiques, on voit que l’âge importe peu : il n’y a pas d’âge pour se mutiner (moyenne de l’échantillon 32 ans, plus ou moins 10) ! À peine perçoit-on des jeunes plus « tribalistes » et de vieux mutins plus indépendants, mais d’un poil (gris). En revanche, comme on le verra, mutines et mutins (à parité dans l’échantillon), ne sont pas identiques et apportent un véritable équilibre à la famille, sans lequel on peut affirmer que Mutinerie Coworking ne serait pas ce qu’elle/il est.
Qu’est-ce que réussir ?
Les zones de tensions sont centrées sur les deux systèmes de valeurs responsables d’avoir structuré en profondeur le monde qui nous est aujourd’hui donné en héritage.
Le stress majeur concerne le système de la rationalité conquérante, celui de l’affirmation calculée de soi pour atteindre ses objectifs personnels.
On pourrait le résumer en posant la question « qu’est-ce que réussir ? » à laquelle on se permettrait d’apporter d’autres réponses. Chez les mutins, l’extrême diversité des attitudes observées vis-à-vis de ce système (du rejet total à la complète adhésion), ainsi que la présence de questionnements internes au cœur même des individus, rend compte d’une sorte de déconstruction du système rationaliste de la preuve par les résultats. Déconstruction n’est pas rejet, mais droit d’inventaire sur deux siècles (et plus récemment 30 années excessives) d’une philosophie calculatoire de l’action. On aurait jadis pu l’appeler pouvoir de l’intelligence… mais aujourd’hui, on demanderait bien : laquelle ?
Revenons à « qu’est-ce que réussir ? » Est-ce que cela se mesure, et comment ? Est-ce moi qui en juge, ou pas ? Est-ce possible au mépris des autres et de l’éthique, ou pas ? Discute-t-on de cela entre mutins ? Oui. Est-ce qu’on s’engueule à ce sujet ? Non.
Pourquoi ? Parce que leur structure sociale est si souple que les opinions des uns et des autres ne sont pas un sujet d’affirmation de soi ou de maîtrise d’un pouvoir quelconque. De fait, il n’y a aucune sanction et c’est cela qui interroge. Dans ce débat discret, rien ne distingue mutines et mutins, jeunes ou vieux.
Qu’est-ce que le Bien ?
La deuxième zone de tension porte sur l’acceptation d’un ordre absolu, indépendant des hommes, qui énonce « la » vérité, fonde les institutions et requiert l’obéissance.
Surprise ! On pourrait croire nos mutins vent debout contre cet ordre des choses, et bien non, il s’agit là encore d’une déconstruction tranquille, voire d’un non-dit, une place laissée à la conviction la plus intime.
Tension plus tranquille et moins explicite que la précédente, surtout parce que la tendance majoritaire est – quand même – au rejet de la soumission (on est mutins, ou pas ?). La question qui frotte pourrait être « qu’est-ce que le Bien ? » Certains connaissent l’origine de leur certitude, d’autres refusent toute source institutionnelle de cette vérité. S’ils en débattaient, ce serait homérique, mais ce débat n’a pas lieu car il mettrait en péril ce en quoi l’on croit le plus, nous le verrons plus loin. Une bonne part d’entre eux connait la réponse dans son cœur. C’est par ailleurs chez les mutines que cette certitude s’offre le moins à la controverse.
Libres ensemble !
Mais alors, qu’est-ce qui unit les mutins, qu’est-ce qui les soude ? Trouvons déjà ce qui les rend semblables. En fait, cela tient tout simplement à leur devise, clé de voûte magnifiquement limpide : libres ensemble !
Leur adhésion maximale (libres) va vers un système dit « d’expression de soi pour s’accomplir dans le respect des autres ».
Répondant à l’ancienne idéologie du calcul stratégique par un amour de l’incertitude, de l’avenir ouvert à tous les possibles, les mutins sont plus intéressés par le voyage que par sa destination. Ils ont tous des rêves, même si nos instruments ne les mesurent pas… il faut côtoyer les matelots la nuit pour les connaitre.
Cependant, d’après nos données, cette soif de découverte est plutôt portée par la composante mâle de la communauté.
La deuxième zone de congruence est un sacrifice de soi pour les autres en vue d’un bénéfice immédiat ressenti par tous (ensemble) : au nom de l’agrément de la communauté. Le fameux vivre ensemble comme art élémentaire.
On ne s’impose pas quand on est mutin, on se laisse appeler par les hourrah de la foule !
Ce liant est – ça ne vous étonnera sans doute pas – plus nettement porté et jamais rejeté, par la partie féminine de ce corps, alors que chez les garçons, on secoue parfois le joug de cette compliance sociale. L’amour de la diversité et la rupture avec le dogme de l’efficience nous valent cette déco baroque et ce mobilier unique et étrangement fonctionnel, constitués par un amas de belles choses dépareillées, tirées d’on ne sait où, mais surement pas d’un fournisseur d’équipements de bureau ! On retrouve le même esprit dans des endroits comme le Comptoir Général ou le restaurant Les Pères Populaires… Upcycling et récupération.
Pour revenir à la soudure évoquée plus haut, la magie, l’indicible, la tribu, sont des épices de l’ADN mutin dosées plus fortement qu’ailleurs. Le mystère de la vie est ici un invité permanent et, pour autant que nos chiffres le montrent, ce sont plutôt les mutines qui l’invoquent dans leurs sabbats. Ce sont aussi plutôt les jeunes matelots, plus « tribalistes » que leurs aînés, vieux loups de mer aux tempes grises que l’on ne saurait influencer, assimiler ou inclure qu’à plus grands frais…
Enfin, grande question, les mutins sont-ils civilisés ? Sont-ils sauvages ? N’en déplaise à leur égo, à leur logo et aux figures tutélaires de pirates au poil rouge dont ils décorent leurs visuels, ils sont avant tout sages, respectueux et polis.
Leur violence symbolique est sous contrôle, euphémisée, sublimée, tranquille (mais prête à resurgir ?).
Cet ADN est-il adapté au monde qui les entoure ? D’après nos mesures (moins fiables compte tenu de l’échantillon) on le dirait – et c’est surement ce qui explique la croissance organique et la renommée de cet hyperêtre improbable qu’est Mutinerie – même si le risque de repliement tribal (voire narcissique) n’est pas loin, et même si le sacrifice de soi pour le bien des autres n’est hélas pas la norme établie, ni la meilleure recette pour tirer son épingle du jeu, dans notre société et ses organisations actuelles.
Quoi qu’il en soit, cette mixture – bien vivante en dépit du découpage analytique que nous avons proposé – constitue un ADN viable, fécond, unique et puissant. C’est l’ADN mutin. Il est constitué ainsi et l’on ne saurait revenir en arrière. Souhaitons-lui longue vie et prospérité !
Pascal Jouxtel