La Conférence Européenne du Coworking qui a lieu chaque année au mois de novembre est le moment privilégié pour sonder l’évolution du mouvement et sentir l’état d’esprit du moment. On y retrouve nos comparses et on en apprend beaucoup sur leurs aventures de l’année, leurs succès, leur doutes et leurs espérances.
Cette fois-ci, pour notre quatrième participation, Mutinerie est venue en force à Lisbonne où nous participions par la même occasion au magnifique Copass Camp; une semaine dans la ville logés dans un appartement gigantesque avec une trentaine de Copassers, accueilli dans différents coworkings lisboètes, le tout agrémenté de surf, de bateau, de visites de la ville…
Cette édition m’a donné l’impression d’une ambiance différente, une ambiance plus studieuse, plus sereine, bref plus mature.
Les études annuelles de Deskmag sont venues confirmer cette intuition. Par exemple, en 2014 seuls une petite majorité des coworkers actuels le sont depuis moins d’un an alors qu’ils représentaient presque deux tiers auparavant. Dans le même temps le total des espaces ayant moins d’un an d’existence représente 40% du nombre d’espaces en 2014 contre 51% en 2015. C’est donc une première dans le coworking, les nouveaux venus ne sont plus majoritaires.

Entendons-nous bien, maturité ne veut pas dire normalité, banalité et ennui. Le coworking reste toujours aussi dynamique et toujours aussi original.
Dynamique parce que la vitesse de développement du coworking est celle d’une start-up qui ferait saliver n’importe quel investisseur. Avec presque deux fois plus d’espaces d’une année sur l’autre sur 8 années d’affilée, on est sur une croissance à la fois soutenue, durable, dans un marché en explosion et bien loin d’être saturé.
Original car le coworking est le fait d’acteurs indépendants et non pas de quelques marques. Des centaines de gens partout dans le monde qui, un beau jour ont décidé de se lancer dans l’aventure en prenant leur risque, en y mettant toute force et une partie importante de leur argent.
Le coworking continue de tracer son chemin en débroussaillant les ronces de l’inconnu. Simplement, la maturité, c’est qu’il commence à comprendre qu’il lui faudra bien troquer sa petite machette contre une tronçonneuse.
A l’issue de la Conférence de Lisbonne, voici à mon sens les grands thèmes qui englobent les enjeux actuels du mouvement du coworking :
1) Mesurer une communauté
C’était le sujet de l’un des groupes de discussion auquel je m’étais inscrit pendant la conférence. Mesurer, évaluer; des interrogations qui viennent après avoir passé le premier stade, celui de la création et l’inévitable ébullition chaotique qu’il génère. C’est le moment où on commence à avoir besoin de données, d’objectifs mesurables pour rendre tangibles ses actions.
Là encore, dans le contexte original du coworking, nous évoluons dans l’inconnu. Mesurer une communauté, ça veut dire quoi ? Systématiser des milliers d’interactions entre coworkers, évaluer une niveau de confiance, un taux de créativité … Ces notions sont au coeur du métier des acteurs du coworking mais restent très difficiles à mesurer.
Et pourtant, comme le soulignait Alex Hillman, « on ne peut progresser sans évaluer ».
Au fil de discussions passionnantes où les arguments positivistes, approches plus intuitives et partages d’expériences s’entremêlaient, avec de bonnes idées pour mieux comprendre sa communauté. Les enquêtes régulières auprès des coworkers sont l’option la plus évidente mais ne révèleront pas tout. Il faudra trouver des outils de mesure adaptés. Je reviendrai là dessus dans un prochain billet.
Quoi qu’il en soit, apprendre à affiner sa compréhension de sa communauté et être capable d’en tirer des données quantifiables est l’un des enjeux du coworking pour les mois qui viennent.

2) Faire tourner le Machin
Quand on devient grand et responsable, mature quoi, il faut bien commencer à penser à ses sous. Il ne s’agit plus de s’acheter des Carambars et des Pogs, mais d’investir à plus grande échelle et d’être véritablement profitable. Car franchement, de nombreux espaces sont encore loin de l’équilibre et au bout de quelques temps, ça commence à donner quelques sueurs froides aux fondateurs…
Il faut avouer que le métier n’est pas par nature une machine à cash; charges fixes importantes, recettes fluctuantes, besoins en travail humain conséquent, public constitué d’entrepreneurs et de freelances qui ne roulent pas souvent sur l’or etc…
L’avantage du coworking aujourd’hui notamment par rapport aux années précédentes, c’est que la valeur qu’il apporte est désormais bien identifiée et donc plus facilement valorisable. Mais pour le reste, pas de recettes magiques. Il faut simplement apprendre à devenir de meilleurs gestionnaires; surveiller sa tréso, automatiser les tâches récurrentes etc…
Il faut aussi apprendre à transmettre et à recruter. Créer et gérer sont des choses qui demandent des compétences différentes et donc parfois, des personnes différentes. Dites-vous que le Machin tournera vraiment quand vous aurez réussi à faire en sorte qu’il puisse fonctionner sans vous.

3)Créer un langage commun entre les espaces
L’une des particularités du coworking est d’être un mouvement né de la base et construit par des milliers d’acteurs indépendants. A Mutinerie, nous pensons que cette organisation en constellation est la plus intéressante car elle permet d’avoir une grande diversité d’espaces et de communautés mais cette logique a aussi ses points faibles ; manque de communication, de concertation et risques de redondance sur des tâches qui pourraient être faites une bonne fois pour toutes et être utiles à tout le monde.
Il faut donc créer et enrichir nos communs, les lieux d’échange, les outils partagés… Des outils qui fonctionnent vraiment et rendent service à tous au quotidien, pour la gestion, pour l’attractivité et pour la compréhension de nos activités respectives.
Le travail de Deskmag est un exemple de commun utile à tous. Car Deskmag est le seul à fournir des données chiffrées et mondiales sur le phénomène de Coworking. Qu’il s’agisse de monter un business plan, de comprendre l’évolution du mouvement ou simplement de connaitre les spécificités de son espace, ces informations sont indispensables. Des ouvrages et des travaux qui documentent le coworking sont également très précieux comme Le Coworking Handbook de Ramon suarez ou les différents Wiki.
Avec Copass, le premier réseau mondial d’espaces de Coworking, les coworkers peuvent désormais accéder facilement dans près de 300 espaces partout dans le monde, Cobot et Nexudus permettent de gérer son espace plus facilement et ont fait gagner des milliers d’heures aux managers …
Il y’a encore beaucoup à faire dans ce domaine mais je crois que si nous parvenons à créer les outils qui permettent de créer un langage commun et des interactions naturelles entre espaces, nous aurons prouvé qu’un modèle décentralisé mais capable d’actions communes cohérentes est capable de faire mieux que le vieux modèle reposant sur quelques gros acteurs en concurrence.
4) Travailler avec sa progéniture
Et puis, comme tout organisme ayant atteint la maturité, il est désormais capable de faire des marmots ! L’émergence des tiers-lieux mêlant coworking et résidence en milieu rural, la croissance spectaculaire des makerspaces sont deux exemples de la fertilité du concept qui représentent les nouvelles frontières pour les espaces de travail partagés. Ca aussi, c’était visible à la conférence …
« la valeur qu’il apporte est désormais bien identifiée et donc plus facilement valorisable »
J’aimerais pouvoir échanger la dessus si vous avez un peu de temps…
Derrière cette phrase, je veux dire simplement que les premiers acteurs du coworking devaient faire tout un travail pour « prouver » aux utilisateurs la valeur, y compris matérielle que peut apporter le coworking. Sans précédent, il était parfois difficile de faire payer des choses à des gens qui n’avaient pas pleinement perçu la valeur de cette solution. Aujourd’hui, certains espaces, dont la qualité de service et d’écosystème est reconnue, peuvent plus facilement facturer…