
Quand les innovateurs sociaux se retrouvent
LOTE (Living On The Edge) est un rassemblement d’Edgeryders, une communauté en ligne dont les membres sont des innovateurs sociaux de tous poils, en provenance des quatre coins de l’Europe. Sans chercher à décrire précisément l’état d’esprit, vous aurez déjà compris à son nom de baptême que cette communauté sent l’innovation sociale et le hacking à plein nez. Qui plus est, comme William le présumait dans son article à propos du Monastère, ce thème ici incarné par UnMonastery a bel et bien un pouvoir d’attraction. Pas étonnant évidemment d’y retrouver Deskmag (webzine spécialisé du coworking), Ouishare (communauté, think tank, do tank de l’économie du partage), Francesco et Mutinerie, alléchés par cette initiative.
Aussi je me suis rendu à Matera pour LOTE#3 dans l’idée de rencontrer mes pairs, participer au design du UnMonastery et vivre cette expérience de travail collaboratif.

Cette semaine s’est déroulée pour l’essentiel dans un format non conférence digne de toute non organisation. Rien de plus naturel dans un non monastère, n’est-ce pas ? Venus volontairement et par nos propres moyens à ce rassemblement, nous venions contribuer à quelque chose dont nous avions une appropriation très partielle et personnelle, d’abord portés par des ambitions sociales et l’envie de nous rencontrer hors ligne.
Un programme avait été collectivement établi en ligne en amont de LOTE. Compte tenu des différents niveaux de connaissance du projet et du fait que très peu d’entre nous se connaissaient déjà, les temps du programme ont surtout été des déclencheurs d’échanges. Au-delà de cette partie visible de l’iceberg, la semaine a surtout été ponctuée d’une multitude de moments, souvent en plus petit comité, autour d’un café, d’un repas, ou encore en marchant dans les rues de Matera. Laissant ainsi la part belle à la sérendipité, nous avons pu faire connaissance les uns avec les autres, et contribuer chacun à notre façon.
Pérégrinations d’un Mutin moine
Ainsi, alors que certains d’entre nous ont travaillé sur le design architectural de l’espace ou sur les outils de collaboration en ligne, j’ai pour ma part surtout choisi d’arpenter les rues de Matera pour m’imprégner de son ambiance et saisir les opportunités de rencontrer les habitants. J’ai eu la chance d’être chaleureusement accueilli par un couchsurfer inspiré et ayant grandi à Matera. De fil en aiguille et grâce à mon ami Pietro qui a fait l’office d’un guide hors pair, j’ai provoqué quelques authentiques vibrations dans les murs du UnMonastery: à deux reprises des musiciens sont venus partager leur musique au pied levé. Les premiers ont offert au UnMonks leurs premiers pas de danse sur des airs de musique traditionnelle. La deuxième fois, un récital de chansons inspirées nous a été donné par Francesco, rencontré par hasard la veille dans la pampa, jouant de sa guitare et lisant un livre surprenant… Et pour ceux qui comprennent l’italien, ses chansons valent le détour…
Un monastère d’innovation sociale
En plus de ces expériences musicales, cette semaine de travail collaboratif aura permis d’affiner le contour du projet UnMonastery dont je vous livre ma synthèse ici.
Alors que LOTE#3 s’est déroulée sur une semaine, UnMonastery est une expérimentation plus longue de cette nouvelle façon de travailler. Dans sa version actuelle, UnMonastery propose des résidences allant jusqu’à 4 mois pour les innovateurs, entre février et mai 2014 (postuler). Les résidents seront nourris, logés et bénéficieront d’un forfait d’environ 400€ par mois pour travailler sur leur projet. La contrepartie étant que les projets menés fassent écho aux problématiques sociales que rencontre le territoire de Matera.
UnMonastery est un dispositif de lieu éphémère qui s’apparente à une mission de conseil mettant en jeu une méthodologie très innovante
UnMonastery peut ainsi être répliqué et décliné ailleurs, et par quiconque. Dans le cas présent, à Matera, l’opération est financée par cette ville de 60 000 habitants, et coïncide avec son ambition de devenir capitale européenne de la culture en 2019. De ce que j’ai pu entendre, le coût de l’opération, hors travaux d’aménagement de l’espace, serait de 36 000 euros.
LOTE comme UnMonastery rassemblent ponctuellement des travailleurs indépendants et connectés dans le but de travailler sur un projet donné: Edgeryders a définitivement des allures d’organisation agile. Coïncidence intéressante et amusante, j’écris ces lignes depuis Barcelone où se déroule la 4ème Conférence Européeenne du coworking. A coups de non-conférences et d’échanges informels, nous y fomentons d’ailleurs le passage du coworking au niveau supérieur, le « coworking global »…
A Matera comme à Barcelone, le constat est clair: le monde du travail change.
Les Edgeryders sont-ils des cousins des Anonymous ?
Dans ce contexte propice aux réflexions, une autre source d’inspiration vient me chatouiller les neurones. L’absence de définition claire d’Edgeryders, la nature des liens existants entre ses membres et leurs modalités d’intervention me rappellent singulièrement les traits des Anonymous. Au final, ces deux « organisations ouvertes » (ou plutôt non-organisations) apparaissent comme deux manifestations d’un même phénomène plus profond, sur des terrains de jeux différents. Ce dont il s’agit ici est évidemment la transformation de nos sociétés s’opérant dans le sillage d’Internet.

Les communautés Anonymous et Edgeryders partagent les mêmes valeurs citoyennes, une volonté d’agir, une maîtrise des technologies de l’information, et la conviction de pouvoir faire pencher la balance à travers des actions collectives. Sans prétendre à distinguer dogmatiquement ces communautés l’une de l’autre, disons que là où un Anonymous est d’abord un citoyen technophile agissant surtout online, un Edgeryder est un travailleur ultraconnecté portant son engagement à travers ses activités professionnelles. Evidemment, nous pouvons être les deux à la fois…
Ce qui retient mon attention, c’est qu’Anonymous et Edgeryders sont des organisations ouvertes qui recourent aux mêmes modes d’interactions entres pairs. Et, en observant l’histoire des Anonymous, c’est la potentialité d’Edgeryders qui m’interpelle : imaginons une telle organisation agile d’individus mutualisant savoirs-faire et réseaux professionnels au service de l’innovation sociale…
Anonymous are legion, let’s be legions of Edgeryders